Dans la prise en charge de l’Articulation Temporo-Mandibulaire (ATM), la question de la position du disque articulaire et du condyle en position d’intercuspidie maximale occupe une place importante. L’imagerie s’avère alors utile pour mettre en évidence ces éléments. Cependant, une étude semble remettre en question l’importance de ces éléments dans les troubles de l’ATM.
Cette étude [1] a cherché à déterminer la prévalence de différentes variables (Position du disque par rapport au condyle, la position du condyle par rapport à la surface articulaire temporale, la profondeur de la fosse glénoïde) sur 2 cohortes en position d’intercuspidie maximale. Le but est de réévaluer la signification clinique de ces éléments de l’ATM.
L’étude en bref
Pour y arriver, cette équipe a étudié les clichés de scanners pris entre 2005 et 2006 sur 72 sujets nés entre 1930 et 1932 et entre 1950 et 1952 et utilisé des critères précis pour les mesures : Ceux d’Orsini pour la détermination la position du disque et ceux de Muto pour la position du condyle. Ils sont résumés dans la figure suivante.
L’ensemble des données des deux échantillons subit un test t de Student employé comme un test de signifiance. Or, la présence de ces variations est liée à un niveau de significativité de 5%. La position du condyle est extrêmement variable (50% centrée, 50% Antérieur/postérieur) et il existe des tendances de placement en fonction du sexe du sujet : Position postérieure pour les femmes et centrée pour les hommes. Quant à la position du disque articulaire, 75% des patients possèdent une position décrite comme dans les ouvrages et le reste a une position plutôt antérieure. Ce positionnement n’a pas lié à l’âge. Le seul paramètre lié à l’âge, c’est la profondeur de la fosse glénoïde qui diminue avec l’avancée en âge tout en s’aplanissant.
Que faut-il en déduire ?
Ces données sont cohérentes avec de précédentes méta-analyses sur des populations asymptomatiques. En conséquence, les auteurs conseillent de voir toutes ces variations mises en évidence sur imagerie comme une simple variabilité physiologique. Ils remettent ainsi en doute la valeur clinique de ces variations. Ainsi, la distinction entre normalité et pathologique reste encore totalement floue. En effet, des positions de condyle considérées comme non-concentrique peuvent être associées avec une fonction manducatrice tout à fait normale.
Le même constat est fait sur la position du disque et la capacité de réduction de sa luxation. Tous les cas de figure sont présents aussi bien au sein des populations asymptomatiques que des populations avec une dysfonction de l’ATM accompagnée de douleur. Ainsi, la présence d’un clic ou d’un son ne doit pas être considérée comme pathologique et la présence de douleur doit être gérée comme une douleur présente ailleurs dans le corps.
Enfin, comme le soulignent les auteurs, concernant les douleurs liées à une dysfonction de l’ATM, le profil type, est une femme entre 18 et 50 ans souffrant de douleurs des muscles masticateurs. Or, ces douleurs diminuent remarquablement durant la ménopause et dans les groupes plus âgés. C’est une tendance observée pour d’autres douleurs au niveau du rachis notamment. Ce mécanisme général indique donc que l’association de ces « anomalies » liées au sexe, et/ou à l’âge, ne sont pas un critère clinique essentiel et étiologique.
De plus, cela permet aussi d’éviter de véhiculer des messages nocebo pouvant entretenir le phénomène douloureux [2-3].
Évitons de jeter le bébé avec l’eau du bain
Nous parlions de traiter la douleur de l’ATM comme n’importe quelle autre douleur. Si nous nous référons au modèle bio-psycho-social de la douleur, il ne faut pas négliger les facteurs biologiques de la douleur.
Ainsi, une autre étude expérimentale [4] a montré que les seuils mécaniques pouvant engendrer un message nociceptif sont plus faibles dans une ATM dégénérative. Tout en gardant en mémoire que nociception n’est pas systématiquement synonyme de douleur, ce facteur peut, combiné à d’autres facteurs, amener un patient à ressentir une douleur.
Le modèle bio-psycho-social
Nous vous avions déjà parlé de ce modèle dans un précédent article. Concernant les douleurs oro-faciales dont les troubles de l’ATM font partie, les facteurs bio-psycho-sociaux ont déjà été étudiés [5]. On va retrouver sans surprise :
- La dépression : Ce facteur est généralement associé avec une fréquence de douleur accrue par une diminution des mécanismes de modulation, une diminution du sentiment d’auto-efficacité, l’inactivité, une amplification des symptômes, et par l’errance médicale.
- L’anxiété : La douleur va s’en trouver amplifiée par l’anxiété générée par la douleur et l’anxiété de trouver un traitement efficace,
- Les troubles somatoformes : Ces troubles recouvrent de larges problématiques, et notamment se rapprochent des troubles fonctionnels (champ de compétence de l’ostéopathe). Nous allons retrouver dans ce facteur, le phénomène d’hypervigilance aux troubles somatiques qui va modifier le ressenti du patient, les dysesthésies occlusales, ainsi que des symptômes qui accompagnent la douleur oro-faciale persistante.
- La catastrophisation et le sentiment d’auto-efficacité: De hauts niveaux de catastrophisation sont associés à une consommation médicale accrue, une douleur davantage exprimée, et des mauvais résultats de traitement. Le sentiment d’auto-efficacité est l’alter-ego de la catastrophisation.
- Le comportement d’évitement : ce facteur mène à la catastrophisation, une peur de la douleur, une incapacité, et empêche la guérison.
Mais n’oublions pas les para-fonctions qui peuvent être mesurées comme le grincement des dents, le claquement des dents, le contact dento-dentaire répété et permanent, appuyer la langue sur les dents, entre les dents etc.
Comment le mesurer en pratique?
Un outil qui semble important et utile est le DC/TMD Psychosocial Axis (Axis) II Assessment. Il se présente sous la forme suivante :
Il comprend donc différents sous questionnaires. C’est évidemment un outil qui peut être un peu long à mettre en place mais qui pourrait s’avérer payant dans le suivi et surtout permettre d’obtenir des résultats à plus long terme pour le patient.
Il existe une version française de l’outil disponible en ligne: https://ubwp.buffalo.edu/rdc-tmdinternational/tmd-assessmentdiagnosis/rdc-tmd/translations/french/. Précisons toutefois qu’il n’a pas fait l’objet d’une validation dans sa version française complète. En effet, chaque traduction doit faire l’objet d’une réévaluation pour être sûr de ne pas trahir le sens des phrases et des questions. De plus, cela doit l’objet d’une adaptation aussi par rapport à la culture de chaque pays pour que certaines tournures restent parlantes pour le patient.
Les sous-parties en revanche ont fait l’objet d’évaluation individuellement ce qui va dans le sens d’un outil de bonne qualité.
Les principales idées à retenir :
- Beaucoup de variations de position du condyle et du disque articulaire sont tout à fait physiologiques.
- Souligner ce type de malposition peut participer à un effet nocebo chez le patient.
- D’autres facteurs bio-psycho-sociaux sont à prendre en compte dans la gestion des douleurs oro-faciales.
- L’usage de questionnaire (DC/TMD Psychosocial Axis (Axis) II Assessment) permet de mieux appréhender cette prise en charge complexe.
Sources :
[1] Türp JC, et coll, Disk displacement, eccentric condylar position, osteoarthrosis – misnomers for variations of normality? Results and interpretations from an MRI Study in two age cohorts, BMC Oral Health, 2016, 16: 124.
[2] Colloca L, Douleurs et neuroplasticité cérébrale : « Placebo et Nocebo : les deux faces d’une même pièce ? », 14e congrès national de la SFETD, 20-22 novembre 2014, Toulouse centre de congrès.
[3] Benedetti F, et coll, When words are painful: Unraveling the mechanisms of the nocebo effect, Neuroscience, 2007, 147: 260-271.
[4] Sperry MM, et coll,The interface of mechanics and nociception in joint pathophysiology: Insights from the facet and temporomandibular joints, J Biomech Eng, 2017, 139(2): 0210031-02100313.
[5] Ohrbach R, Durham J, Biopsychosocial aspects of orofacial pain, in Contemporary Oral Medecine, 2017, p 1-21.
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