Alors que la question se pose de manière pressante au Québec avec la reconnaissance de l’ostéopathie par l’état, la création d’un ordre fait finalement grincer quelques dents et pas forcément chez les opposants aux ostéopathes. Mais en France, où en somme nous ? En réalité, plusieurs projets s’affrontent :
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Un ordre professionnel ?
Un ordre est un organisme chargé de regrouper sur un territoire donné l’ensemble des professionnels, libéraux ou non et qui se charge en partie de la régulation de la profession. L’adhésion est obligatoire sauf dérogation express (ex : médecin militaire), et est une condition pour l’autorisation d’exercice.
Un ordre professionnel est une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public, constituée par une loi qui définit sa fonction publique et par un décret d’application pris en Conseil d’État qui lui donne son statut (Conseil d’Etat, 2 avril 1943 ; articles L.4125-1 et L.4321-19 du code de la santé publique).
Il a un rôle de protection du public en publiant des recommandations et avis concernant la pratique et en assurant l’application d’un code de déontologie (sanction disciplinaire) par exemple. Il a aussi un rôle politique auprès de l’état pour tout ce qui touche à la profession.
Cependant, ce rôle n’est pas forcément perçu de la même manière par le reste de la société et un ordre peut être vu comme un bastion du corporatisme, où la mission de protection du public glisse vers celle de protection de la profession et/ou des professionnels. De même, pour les professionnels même, un ordre peut être vu comme une dépense inutile, contrainte comme ça a pu être le cas pour l’ordre des infirmiers à ses débuts pendant un temps. Il peut être aussi vu comme une source d’immobilisme.
Un sondage avait été d’ailleurs lancé en décembre 2018 par l’Association Française d’Ostéopathie et Médecine Ostéopathique pour savoir si les professionnels voulaient un ordre. La présidente de l’AFO semble indiquer le 9 avril sur facebook que la tendance serait pour la création d’un ordre :
Bien sûr, le taux de participation et le résultat précis n’étant pas connus, difficile de juger de la pertinence de ce résultat. Ce syndicat est en faveur d’un statut de profession de santé pour les ostéopathes et milite en ce sens. Le syndicat Médecine Ostéopathique (Ancien SNOF) défend aussi la position de la création d’un ordre pour ancrer l’ostéopathie dans le champ de la santé.
Le SFDO avait tenu à rappeler en décembre dans un court article la question du rôle et des prérogatives d’un ordre. À noter que l’AFO avait alors répondu point par point dans un nouveau communiqué. Sachant que les prérogatives exactes d’un ordre peuvent être variables selon la profession, les arguments des uns et des autres sont discutables. Chacun s’appuyant sur des exemples différents notamment sur la question d’un code de déontologie opposable aux professionnels concernés. Le SFDO s’appuierait sur l’exemple des infirmiers ayant eu un code de déontologie par décret avant la mise en place de leur ordre (en réalité, il s’agirait de règles professionnelles édictées en 1993 et non d’un code de déontologie), et l’AFO sur celui des experts comptables dont le code de déontologie appliqué et opposable n’aurait pas fait l’objet de décret.
Dernier texte en date, c’est un communiqué d’aujourd’hui (11/04/2019) commun entre l’AFO, MO et le ROF pour la création d’un ordre qui appelle à l’unité syndicale derrière ce projet.
Chacun sera libre de consulter les arguments des uns et des autres pour se forger son avis, et même participer s’il le souhaite au sondage de l’AFO-MO. Nous vous renvoyons aussi vers l’article de Pierre-Luc L’hermite, Ostéopathe DO et Docteur en droit sur la question de l’ordre.
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Ou une Haute Autorité de l’Ostéopathie ?
En lieu et place d’un ordre, il est question d’une haute autorité. Le projet porté actuellement par le Député Adrien Morenas (LREM) du Vaucluse, étudiant de 5ème année l’école IFSO Vichy. Il avait déjà mené une réunion avant avec un grand nombre d’école en décembre 2017. Le résumé de ladite réunion est disponible ici.
Il en ressort une volonté d’inscrire la formation selon un modèle LMD allant jusqu’au doctorat, l’obtention d’un statut de professionnel de santé, un remboursement par la sécurité sociale des séances d’ostéopathie, lever les restrictions d’actes (manipulation cervicale, toucher pelvien), mettre en place une haute autorité de l’ostéopathie sur le modèle de la HAS, des contrôles plus rigoureux des écoles par l’IGASS, et un numerus clausus.
Le Projet semble converger vers la vision du ROF. Celui-ci a publié un texte à ce sujet en janvier dernier et s’appuierait sur un nombre croissant de plaintes de patients et de professionnels auprès du ROF pour justifier sa mise en place. Cela renvoie à la mission de protection du public d’un ordre, ce qui logique étant donné que le ROF est une structure à vocation ordinale. Cette haute autorité viendrait recouvrir une partie des prérogatives du ROF.
Cette sortie du ROF n’a pas laissé indifférent le SFDO qui a publié un communiqué sur le sujet le 03/04/2018.
M Morenas a depuis effectué un sondage sur Facebook. Le taux de participation est de 1600 personnes et indiquent 86% pour la création d’une haute autorité et 12% contre. Cela est peu quand on se fie au rapport de démographie de la CEJOE qui donnent une population de 30009 ostéopathes (Tous statuts confondus). Soit un taux de participation de 5,3% pour peu que tous les votants soient des ostéopathes.
Ce dernier a aussi précisé sa pensée sur son statut:
Chers amis ostéopathes pour faire suite au sondage publié mardi, et aux questions posées en commentaire, voici un petit texte explicatif pour que les débats soient éclairés.
Continuez à voter et partager.Création d’une institution ordinale ou d’une haute autorité pour quoi faire ?
Pour se faire je me suis largement inspiré de l’ordre des infirmiers.
1Le cadre légal : Une institution ordinale est une instance de régulation par délégation de l’état. Elle contrôle l’accès et les conditions d’exercice dans un secteur. C’est une mission de service public de régulation visant à maintenir les équilibres entre les principes inaliénables que sont les droits fondamentaux des personnes, la liberté de choix de son praticien par le patient par exemple ou la protection de la vie privée, l’intérêt général ou encore les règles de la concurrence.Elle garantie protection du patient et respect des règles déontologiques, sauvegarde de l’indépendance professionnelle, préservation du secret professionnel sont autant de missions régaliennes qui concernent les ostéopathes.
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La délégation de service public : L’Etat ne peut intervenir dans tous les domaines de l’économie et de la société. En matière de santé comme dans nombre de domaines, on constate depuis quelques décennies un accroissement de la technicité que ce soit dans les modes de financement, la gestion des ressources humaines, les droits des patients, la responsabilité des professionnels et des établissements. L’Etat a donc progressivement délégué certaines missions au fur et à mesure que les besoins de régulation surgissaient. La création de nombreuses agences dans le domaine de la santé en est l’illustration.
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La déontologie, son contrôle, les sanctions aux manquements : Un code dicté par cette institution permettra de garantir à l’ensemble des patients de plus en plus exigeants les mêmes règles pour tous sur des domaines comme par exemple le secret professionnel, l’interdiction du refus de soins pour des motifs discriminatoires, les soins attentifs et consciencieux. Ce sont donc les mêmes règles professionnelles qui s’appliquent à l’ensemble des ostéopathes : indépendance professionnelle, secret professionnel, confraternité, hygiène, assistance à autrui, etc.
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Quelques exemples d’application d’une instance
Le règlement des litiges internes ou externes
La discipline application du code déontologie
Les règles d’installation et d’exercice
Suivi de la formation continue
Relations des ostéopathes avec le monde de la santé
La voix de la profession auprès des pouvoirs publics français ou européens
Création d’un référentiel de formation et mise en place d’un diplôme national
Gestion d’entée des flux d’étudiants en première année
Création d’un comité scientifique
Mutualisation auprès des organes de complémentaires santé, retraites, RCP ….Le vote du bureau doit se faire par des élections nationales et par l’ensemble de la profession.
Une haute autorité permet de pouvoir y intégrer les médecins ostéo ainsi que les kinés ostéo qui ne peuvent adhérer à un seul ordre.
Pour rappel, l’idée d’une haute autorité administrative chapeautant notre profession n’est pas neuve et était un des objectifs de RésOstéo (Thinkthank qui a depuis disparu des radars). Elle avait déjà été soutenu dans une proposition de loi par le professeur Debré à l’assemblée nationale en 2012 et portait le nom de Haut conseil de l’ostéopathie et de chiropraxie avant de finalement passer définitivement elle aussi sous les radars. La proposition de loi de l’époque est consultable ici.
Cette haute autorité aurait au vu de ses prérogatives un rôle ordinale dans les faits comme l’a précisé M Morenas.
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Et un statut de professionnel de santé ?
L’an passé a vu se jouer une demande d’exclusion d’une maison de santé d’une ostéopathe et d’une psychologue car non professionnels de santé . Il s’en était suivit une pétition pour soutenir les professionnels en question. Actuellement, ces dernières exercent toujours au sein de la maison de santé au vu du site de la MSP. En creux, la question d’un statut compliqué pour les non-professionnels de santé considérés comme une activité de soin dont le but est « curatif ». Cela peut compliquer la possibilité de travail pluridisciplinaire alors que ces maisons de santé sont une opportunité pour l’organisation des soins et que les ostéopathes bénéficient d’une extension de l’accès au secret médical depuis 2016.
C’est justement sur ce point de différences de statuts que de nombreuses questions ont été posées récemment au sénat et à l’assemblée nationale, liant plus ou moins ostéopathe non professionnel de santé avec confusion des genres et dangerosité pour le patient dans leur formulation :
- Indemnisation des conséquences de complication post-traitement ostéopathique par des non professionnels de santé (Sénat),
- Demande d’imposer aux mutuelles de transférer les sommes allouées au remboursement des séances d’ostéopathie vers le remboursement de soins dentaires et/ou de lunettes (Sénat),
- Questions inhérentes à l’appellation DO, au contrôle des pratiques des ostéopathes (Sénat, Assemblée nationale 1, 2, 3),
La grande ressemblance des questions quand il ne s’agit pas de copier-coller peut nous interroger sur l’origine des dites questions et de l’action d’un lobbying contre les ostéopathes non-professionnels de santé. Au vu des députés à l’origine des questions, cette action est portée principalement par des députés « Les républicains » et « La République En Marche ». Il est d’ailleurs étonnant de voir autant de questions au sénat (21) entre aout et décembre 2018, là où les deux années précédentes voyaient se poser 4 questions uniquement. Enfin, notons que le contenu des dites questions résonne avec les prérogatives d’un ordre professionnel (dénomination, déontologie, contrôles des pratiques professionnelles). Cela renvoie aux solutions évoquées plus haut.
Enfin, il y a cette réponse d’Agnes Buzyn lors de la séance du 21 mars 2019 à une intervention sur la possibilité des ostéopathes d’intégrer les maisons de santé :
« Vous souhaitez que les ostéopathes et les diététiciens intègrent les maisons de santé en considérant que leur présence répondrait à l’attente de patients. Je suis tout à fait attachée à ce que la loi prévoie que seuls les professionnels de santé puissent se constituer en maison de santé. On voit d’ailleurs émerger trop de professionnels autres que de santé dans les maisons de santé pluriprofessionnelles et je n’y suis pas favorable. Nous avons vis-à-vis de nos concitoyens un devoir de lisibilité sur ce que sont les métiers de la santé, afin qu’ils soient bien distingués d’autres professions relevant du bien-être ou d’autres champs d’intervention.
À ce titre, les diététiciens qui sont des professionnels de santé peuvent sans difficulté être membres d’une maison de santé. Les ostéopathes, dès lors qu’ils sont médecins ou masseurs-kinésithérapeutes, le peuvent également pour les mêmes raisons. Toutefois, s’ils ne sont pas professionnels de santé, ils peuvent participer aux activités de la maison de santé en signant le projet de santé dès lors que leur propre activité s’inscrit dans ce projet. »
Ainsi, si la ministre n’est pas favorable à l’inclusion des ostéopathes, elle ne leur ferme pas la porte dès lors que le champ de compétence du professionnel et que leur activité de soin s’inscrit dans le projet de la maison de santé.
Néanmoins en réaction, la Fedeo a lancé sa campagne #ostéopathede2mains pour soutenir de l’accès aux maisons de santé par les ostéopathes.
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Un arrêt de cours de cassation intéressant
Enfin, il faut noter un arrêt de cours de cassation du 6 février 2019 dans une affaire opposant une ostéopathe à la société mémo.com dans lequel il a été jugé que le code de déontologie des ostéopathes (sans précisé lequel) interdisait le recours à la pub. Cela rendrait donc le code de déontologie opposable même s’il persiste un doute sur le code ayant servi de référence pour ce jugement.
En résumé
Les différents statuts et organisations proposés par les syndicats et/ou les politiques recouvrent les mêmes problématiques. Chacun propose des réponses différentes à chaque problématique avec la même attention : un code de déontologie opposable, un contrôle des pratiques/formations/orientations de la profession, un moyen de fédérer et défendre la profession. La question se pose partout en France comme au Québec, mais concernant ce dernier, nous y reviendrons dans un prochain article.
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