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Biomécanique de la course : courir après la fatigue

Existe-t-il un concept biomécanique récent pour modéliser le membre inférieur et le pied du coureur ? Et comment mieux comprendre la fatigue et la récupération spécifique des coureurs à pied est-elle mieux comprise ? Les réponses de Grégoire Millet, chercheur et enseignant en physiologie du sport à l’Université de Lausanne (Suisse)

Par Jérémie Cogan, ostéopathe et titulaire d’une licence STAPS éducation et motricité, et Reza Redjem-Chibane.

Article paru dans Ostéomag #24 Course à pied : rien ne sert de courir, il faut traiter à point (Décembre 2014/Janvier/Février 2015)

On considère aujourd’hui le membre inférieur comme « un ressort qui absorbe et restitue de l’énergie ». Dans ce modèle, une bonne voute plantaire est maintenue par « une raideur neuromusculaire ». Si ce modèle de tension élastique est défaillant au niveau du pied, il peut y avoir un affaissement et mise en place d’une pronation potentiellement pathogène. La problématique de l’arche interne est de répondre à une double fonction. D’abord restituer de l’énergie pour propulser le coureur dans la phase concentrique. Ensuite absorber et stocker l’énergie, résister à l’affaissement, dissiper les contraintes et réduire les niveaux de charges de l’appui dans la phase excentrique. Ce double rôle de protection et de performance nécessite une prévention attentive pour repérer tout problème et le corriger par un renforcement du complexe pied-cheville. Lorsque cette « raideur neuromusculaire du ressort du membre inférieur » se dérègle, il y aura deux conséquences possibles. Si la raideur est élevée, les oscillations seront réduites mais l’énergie stockée dans le complexe muscle tendon, notamment triceps sural et quadriceps, sera plus grande. Il s’agit d’un « stretch shortening cycle », c’est-à-dire un étirement qui rend la contraction qui suit plus efficace. Ce cycle sera variable selon la gestuelle du sportif et donc selon la discipline pratiquée. Un coureur de montagne par exemple doit améliorer les qualités mécaniques excentriques en descente sans dénaturer les qualités métaboliques du muscle.

[su_quote]Chaque type de course induit une fatigue spécifique entraînant une adaptation de la foulée et une adaptation physiologique spécifique[/su_quote]

runUn modèle élastique performant

Ce modèle « élastique » permet de comprendre pourquoi le rendement de la course à pied est si bon comparé à une activité comme le vélo. Il permet d’expliquer les performances des coureurs d’Afrique de l’Est dont la capacité de stockage est supérieure au niveau du mollet. Pour une même vitesse, ils consommeront moins d’énergie. Cependant, entre un sprint et un ultra-trail, la régulation de cette « raideur neuromusculaire » sera totalement différente. Le but de deux coureurs étant différent, la stratégie pour l’atteindre le sera également. Sur longue distance, le coureur réduit l’amplitude et augmente la fréquence de la foulée pour minimiser les contraintes. Pour une vitesse de course supérieure à 20 km/h par exemple, la fréquence diminue et l’amplitude augmente. C’est donc le type de course (gestuelle) et les facteurs bioénergétiques qui déterminent la stratégie de foulée.

[su_box title= »Grégoire Millet » style= »bubbles » box_color= »#ef5602″ title_color= »#1866a5″ radius= »8″]Grégoire Millet a été champion de France de triathlon en 1986. Il est ensuite devenu entraineur notamment au sein de l’équipe de France, celle du Qatar et de l’équipe britannique lors des Jeux olympiques de Sydney. Depuis 2008, il est le directeur de l’institut des sciences du sport de Lausanne (ISSUL), au sein duquel il est enseignant et chercheur en physiologie du sport. Cet institut s’intéresse aux aspects physiologiques, psychologiques et sociaux propres à la pratique sportive. Grégoire Millet s’intéresse à la performance sportive et notamment aux réponses induites par l’entraînement. http://www.unil.ch/issul/fr/home/menuinst/linstitut-en-bref. html[/su_box]

Comprendre le mécanisme de la course est important. Mais les conséquences physiologiques de la course en terme de fatigue et de récupération sont tout aussi importantes. Et chaque type de course induira une fatigue spécifique qui entraînera une adaptation de la foulée. Nous avons étudié l’impact physiologique d’un ultra-trail sur le corps. Dans une course comme Le Tor des géants, la distance à parcourir est de 336 km avec un dénivelé positif de 24 000 mètres. Nous avons toujours observé une fatigue très importante au niveau neuromusculaire et sur tous les systèmes physiologiques. Elle s’accompagnait d’un niveau d’inflammation très élevé. Une cinétique de récupération variable selon le type de fatigue Aujourd’hui, des études montrent que la récupération des niveaux de force normaux s’opère 5 jours après la course. Même sur un ultra-trail. Par contre, d’autres types de fatigue mettent beaucoup plus de temps à se dissiper. Notamment la balance du système neuro-végétatif appréciable par la mesure de la fréquence cardiaque. Elle reste perturbée jusqu’à 16 jours après la course. La question se pose donc de savoir comment stimuler cette récupération neuro-végétative par le biais des différentes techniques classiques : nutrition, cryothérapie, physiothérapie et ostéopathie. Il reste encore beaucoup de progrès à réaliser afin de déterminer quel type de récupération convient le mieux à un type donné de fatigue. Une étude récente [1] a comparé la fatigue induite par deux trails : le Tor des Géants et le Tour du mont Blanc. Le Tor des Géants dure en moyenne 80 heures alors que le Tour du mont Blanc ne dure « que » 20 heures. Pourtant la fatigue induite par le Tor des Géants et un tiers moins importante que celle induite par le Tour du mont Blanc. Ce qui détermine la perte de force, l’inflammation, etc. n’est donc pas la distance parcourue, mais plutôt l’intensité de l’effort produit et notamment le travail excentrique dans les descentes. Il faut connaître la discipline spécifique de chaque coureur pour mieux comprendre le type de fatigue qu’il subit.

gregLa fatigue est spécifique à chaque course

Le corps est capable de mettre en place un mécanisme d’adaptation biomécanique à la fatigue. Une étude récente réalisée par François Fourchet [2], kinésithérapeute du sport à la clinique de la Tour (Genève), porte justement sur la fatigue et l’adaptation du complexe pied-cheville chez de jeunes athlètes. Elle explique comment la fatigue induite par un effort à haute intensité modifie la répartition des pressions plantaires. Avec notamment une augmentation de ces pressions au niveau de l’arche interne du pied qui a tendance à se déformer et à s’affaisser. Il faut donc mettre en place des exercices de renforcement des muscles intrinsèques et fléchisseurs plantaires du pied. La récupération est importante et doit prendre en compte ces connaissances récentes sur la fatigue pour s’adapter au programme d’entraînement. Trop de sollicitations peuvent, avec le temps, venir bloquer certaines adaptations cellulaires recherchées avec l’entraînement. On pourrait comparer ce phénomène avec l’effet de la prise d’AINS systématique pour diminuer les douleurs musculaires. Les douleurs diminuent et les séances d’entraînement pourront être rapprochées. Mais en réalité, on s’aperçoit que les performances ne seront pas améliorées.

Attention : ne pas diminuer les capacités d’adaptation

De telles démarches ont pour effet de diminuer les capacités d’adaptation. Augmenter la fréquence des entraînements ne sera donc pas la solution la plus efficace pour augmenter les performances Pour l’entraînement comme pour la récupération, l’organisme ne répond pas toujours favorablement au simple facteur quantitatif. Il reste encore beaucoup à découvrir afin d’être en mesure de planifier les modalités de récupération et déterminer quel type de récupération est adapté au moment de la saison sportive. Travailler auprès des sportifs nécessite d’adapter son intervention à leurs objectifs. Installer une vraie relation avec l’équipe technique est primordial, car le cadre général d’entraînement évolue en permanence. L’ostéopathe doit connaître la discipline et un minimum de physiologie du sport pour comprendre la planification du coureur et intervenir en conséquence. Sans oublier son double objectif thérapeutique : prévenir les blessures et optimiser la performance et les réponses induites par l’entraînement.

[1] https://applicationspub.unil.ch/interpub/noauth/php/Un/UnPers.phpPerNum=1072060&LanCode=37&menu=pub)
[2] Fourchet F, et al. Changes in leg spring behaviour, plantar loading and foot mobility magnitude induced by an exhaustive treadmill run in adolescent middle-distance runners. J Sci Med Sport (2014)

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