Depuis plusieurs mois, c’est le buzz autour de cette découverte révolutionnaire révélée par la publication de deux études concernant l’utilisation des antibiotiques dans la lutte contre la lombalgie chronique. Découverte révolutionnaire ? Marjolaine Dey a passé au crible ces deux études et les a comparées aux informations diffusées dans les médias. Lecture critique et… chronique des médias.
Par Marjolaine Dey*, ostéopathe DO
Suite à une conférence de presse enthousiaste à Londres, la presse s’est emparée de l’information : les antibiotiques pourraient soulager les patients lombalgiques ! Le buzz est né. Journaux traditionnels et sites internet se déchaînent. Certains qualifient la découverte de révolutionnaire et citent les chiffres extraordinaires d’une mystérieuse étude danoise.
L’auteure principale citée dans cette étude, Hanne Albert, est une kinésithérapeute danoise. En réalité, elle a publié deux articles distincts et s’est ensuite lancée dans une démarche commerciale hors du commun que nous allons vous présenter. Auparavant, et pour mieux comprendre la teneur de cette découverte, analysons ensemble ces deux publications.
Le 1er article d’abord. Il décrit l’étude de cultures microbiennes de disques intervertébraux (Albert HB, Lambert P, Rollason J, et al. Does nuclear tissue infected with bacteria following disc herniations lead to Modic changes in the adjacent vertebrae ? Eur Spine J. 2013;22(4):690-696)
Deux objectifs pour cette 1re étude
Dans cette étude, Hanne Albert veut déterminer la prévalence d’infections microbiennes présentes dans le disque intervertébral (stérile à l’état normal). Les sujets de cette étude étaient des patients âgés de 18 à 65 ans subissant une opération chirurgicale sur une hernie discale lombaire spécifique à un étage. Les IRM des 67 patients sélectionnés devaient confirmer l’atteinte discale. Au cours de l’intervention, cinq biopsies stériles du disque ont été réalisées sur chaque patient selon un protocole stérile très strict. Environ un an plus tard, une IRM de ces patients a été réalisée avec le même appareil et analysée par le même radiologue.
Cette étude avait en réalité deux objectifs distincts : déterminer si les personnes lombalgiques ayant une hernie discale avaient également une infection sous-jacente et démontrer si ces patients souffraient de changements dits de Modic avant et après l’intervention.
Mais qui est Modic ?
Michael Terrance Modic, médecin et neuroradiologue américain, a publié un texte de référence en 1988 permettant une analyse nouvelle des images vertébrales par IRM (Modic MT, Steinberg PM, Ross JS, Masaryk TJ, Carter JR. Degenerative disk disease : assessment of changes in vertebral body marrow with MR imaging. Radiology. 1988 ; 166 : 193-199). Il proposait une classification en deux stades qui a ensuite été complété d’un troisième stade décrivant les altérations de signal T1 et T2 dans les territoires osseux sous-chondraux. Les stades sont ainsi décrits :
– Stade 1 : Hyposignal T1/ Hypersignal T2. Hypervascularisation du plateau vertébral résultant probablement de l’inflammation et de l’oedème.
– Stade 2 : Hypersignal T1/ Hypersignal T2. Involution graisseuse de la moelle : la moelle osseuse rouge de la vertèbre est remplacée par du tissu adipeux.
– Stade 3 : Hyposignal T1 / Hyposignal T2. Épaississement sclérotique du plateau vertébral. Ce stade, plus rare, ferait suite à une fibrose peu vascularisée et une hyperostose marquée.
D’autres chercheurs ont approfondi les études sur les changements dits de Modic, notamment en émettant l’hypothèse que ces changements étaient corrélés avec la lombalgie. Une étude publiée en 2008 par Jensen et al. montre que 43 % des patients lombalgiques présenteraient des changements Modic alors que la prévalence dans la population générale est de 6 %. Cependant, les mécanismes physiopathologiques ne sont pas connus et aucun lien de cause à effet n’a pu être avéré. De plus, l’évolution clinique des modifications de Modic selon une progression linéaire n’a pu être établie : le stade 1 ne mène pas forcément au stade 2 puis au stade 3.
[su_spoiler title= »Info ou intox : comment décrypter l’actu ? » icon= »plus-circle »]Les résultats de certaines études scientifiques sont parfois communiqués dans la presse. Mais seules les conclusions sont reprises et les journalistes ne sont pas toujours des analystes scientifiques. Il est conseillé de chercher la source et lire soi-même le résumé de l’article dont il est question. Il peut être parfois difficile de remonter à l’article : une recherche dans un moteur de recherche classique peut être infructueuse.
L’idéal est de connaitre le nom de l’auteur, la date de publication et la revue dans laquelle les travaux originaux ont été publiés. Avec toutes ces informations, une recherche dans une base de données biomédicale donnera de meilleurs résultats. Pubmed ou sciencedirect par exemple. Vous trouverez facilement le résumé « abstract » et le texte en version intégrale si les auteurs ont rendu leur texte accessible gratuitement. Sinon il vous faudra acheter le fichier (en général entre 10 et 30 €) ou vous rendre dans une bibliothèque médicale spécialisée.
La majorité des publications étant en anglais, utilisez un traducteur si nécessaire.
De nombreux sites et blogs se proposent d’analyser et de critiquer les articles scientifiques. Ceux-ci sont en général plus faciles à lire que l’article originel, mais sont forcément biaisés par le point de vue de l’auteur.[/su_spoiler]
Les résultats présentés par Hanne Albert
Sur les 67 patients recrutés, 61 ont été retenus pour l’étude. Leur âge moyen était de 46,4 ans (±9,7) dont une majorité d’hommes (73 %). Les échantillons de disques prélevés comportaient des infections bactériennes chez 28 patients (soit 46 %) dont 26 par des bactéries anaérobies. Parmi ces derniers, la bactérie Propionibacterium acnes (P. acnes) était présente dans 86 % des échantillons positifs. Seuls 2 patients (3 % de l’échantillon) étaient porteurs de bactéries aérobies.
Environ un an après l’intervention chirurgicale (selon une moyenne de 424 jours après le prélèvement), une IRM a été réalisée pour rechercher la présence ou l’absence de changements dits de Modic.
Aggravations des altérations de Modic | Pas de changement | Total | |
---|---|---|---|
Culture de bactéries anaérobies positives | 20 (80%) | 5 (20%) | 25 |
Culture de bactéries aérobies positives | 0 (0%) | 2 (100%) | 2 |
Culture bactérienne négative | 15 (44%) | 19 (56%) | 34 |
Total | 35 (75%) | 26 (42%) | 61 |
Chez la majorité des patients dont les échantillons prélevés contenaient des bactéries anaérobies (80 %), une aggravation des modifications dites de Modic a été observée. Cette association est statistiquement significative selon le test de Fisher (p=0,0004). Les auteurs concluent alors que le risque d’aggravation ou de développement des changements Modic en cas de présence de bactéries aérobies est infime, car aucun résultat concluant n’a été trouvé ici. Cette conclusion peut être critiquée, car il aurait été plus juste de la part des auteurs de préciser que les échantillons prélevés contenaient une bactérie aérobie chez seulement deux patients. Il n’est donc pas possible d’apporter des conclusions avec un échantillon aussi faible.
Les auteurs évoquent des biais possibles
Les auteurs ont comparé leurs résultats à d’autres études qui avaient montré que les hernies lombaires pouvaient comporter des organismes bactériens, dont des Staphylococcus et P. acnes. Aucune des études ne s’accorde sur les chiffres qui vont de 7 à 71 % d’infection bactérienne. Une revue approfondie de la littérature et des protocoles de recherche serait la bienvenue afin d’analyser la méthodologie de ces différents articles.
La bactérie P. acnes étant présente très fréquemment sur la peau humaine, les auteurs remettent tout de même en question leurs résultats. Une contamination aurait en effet pu expliquer ces résultats de culture positive. Lors de la discussion, les auteurs proposent également une autre interprétation de leurs résultats : les changements Modic dans les vertèbres adjacentes sont dus à un disque infecté par une bactérie anaérobie.
Ils présentent alors d’autres mécanismes d’action. Lors de l’intervention chirurgicale, l’incision du disque et la biopsie auraient pu augmenter la prolifération bactérienne et ainsi provoquer les résultats obtenus. Pour les patients dont les biopsies n’ont pas produit de cultures positives, les auteurs n’expliquent pas pourquoi des changements de Modic pouvaient être présents.
C’est pourquoi l’auteur a mené une seconde étude avec l’hypothèse suivante : si ces changements de Modic sont dus à la bactérie sous-jacente, alors une antibiothérapie pourrait éliminer ces bactéries anaérobies et ainsi prévenir l’apparition des changements de Modic (Albert HB, Sorensen JS, Christensen BS, Manniche C. Antibiotic treatment in patients with chronic low back pain and vertebral bone edema (Modic type 1 changes) : a double-blind randomized clinical controlled trial of efficacy. Eur Spine J. 2013 ; 22(4) : 697-707)
Le second article : l’antibiothérapie pourrait prévenir les changements Modic
Suivant ce raisonnement, et si les variations Modic sont liées à des symptômes cliniques, les patients lombalgiques devraient être soulagés. Pour cette étude, 162 patients ont été recrutés, mais seuls 144 ont poursuivi l’expérimentation jusqu’à son terme. Les critères d’inclusion étaient les suivants :
– âge : 18 à 65 ans ;
– lombalgie chronique (> 6 mois) ;
– confirmation IRM de moins de 24 mois d’une hernie discale L3/L4, L4/L5 ou L5/S1 avec présence d’altérations Modic de stade 1.
Les critères de non-inclusion : allergie aux antibiotiques, grossesse, allaitement, maladie rénale. Et les critères d’exclusion : aggravation de l’IRM – autre hernie discale ou aggravation du stade Modic (stade 2 ou 3) -, absence à la visite de contrôle suite à l’antibiothérapie, absence à la seconde IRM.
Aucune discrimination par rapport au traitement mis en place (inclusion de lombalgie précédemment traitée par chirurgie par exemple), ni par rapport aux symptômes (y compris sciatique et/ou neuropathie) n’a été prise en compte. Les patients étaient libres de continuer leur traitement en cours ou de solliciter de nouveaux traitements pendant l’étude (anti-inflammatoires, analgésiques, thérapie manuelle, etc.), mais ils devaient le signaler aux chercheurs. Il leur était déconseillé de faire une activité physique, mais aucune justification n’est citée par les auteurs.
Une étude en double aveugle
Chaque patient devait refaire une IRM dans un centre spécialisé où un radiologue avait classifié les changements de Modic. Les sujets ont ensuite été randomisés pour être séparés en quatre groupes : antibiothérapie A (un comprimé d’amoxicilline-clavulanate), antibiothérapie C (2 comprimés d’amoxicilline-clavulanate), placébo B (un comprimé de carbonate de calcium) et placébo D (2 comprimés de carbonate de calcium) pendant 100 jours. La méthodologie mise en place a permis de réaliser une étude en double aveugle (chercheurs et patients ne savaient pas dans quel groupe ils étaient affectés).
Les critères d’évaluation ont été déterminés afin de quantifier l’évolution des symptômes des sujets dans les différents groupes. Les critères objectifs retenus étaient : examen clinique,tests sanguins, IRM. L’évaluation des critères subjectifs s’est faite par questionnaires reconnus (Rolland Morris, LBP rating scale, EQ-5D) et des questions annexes (effet global perçu sur échelle de Likert de 7 points, nombre d’heures avec lombalgie ces 4 dernières semaines, nombre de jours d’arrêt de travail, EVA).
Des résultats modérés par les effets secondaires
Le groupe antibiothérapie a obtenu des résultats statistiquement significatifs sur tous les critères de jugements, hormis le nombre de jours d’arrêt de travail et l’analyse sanguine (équivalents dans les deux groupes). La différence de dose n’a pas produit de différence significative et les effets secondaires ont touché en majorité le groupe traité, avec 65 % des participants de ce groupe atteints (contre 23 % dans le groupe placébo). L’étude Modic-IRM a révélé quelques améliorations, mais l’article commente peu ces changements.
Dans le groupe traité, 100 % des participants avaient mal au dos au début de l’étude. Après 100 jours d’antibiothérapie et 1 an après le début de l’étude, ils étaient encore 67,5 % à souffrir (contre 94 % dans le groupe placébo). L’EVA de ce groupe, qui était de 6,7/10 au début de l’étude (5,3 à 7,7), et descend à 3,7/10 (1,3 à 5,8) alors que le groupe placébo est resté constant à 6,3/10. Nous pouvons donc conclure, avec les auteurs, que l’antibiothérapie semble diminuer une partie des souffrances de certains lombalgiques.
Les auteurs modèrent leurs résultats, car les effets secondaires du groupe traité ont été importants. D’autre part, les participants avaient un stade préliminaire de Modic (stade 1). Aucune conclusion ne peut donc être établie sur les autres stades (stade 2 et 3). Enfin, aucun lien n’a été prouvé dans la littérature entre les modifications Modic et les symptômes du patient : ce critère de jugement reste expérimental. Conclusion : la recherche doit continuer et les auteurs encouragent leurs collègues à publier davantage sur ce sujet. L’antibiothérapie pourrait être intéressante lorsque tous les autres traitements ont échoué.
Un processus de publication en question
Ces articles ont été publiés dans European Spine Journal après avoir été refusés par des revues à meilleur niveau de preuve (Nature, Science, etc.). Il faut noter que les auteurs ne signalent pas de conflits d’intérêt, même si, Hanne Albert, l’auteure principale, a été éditeur de cette revue et aurait envoyé un email directement à l’éditeur en chef de la revue pour provoquer la publication (selon un article publié dans The Independent).
Les résultats sont encourageants, mais l’enthousiasme débordant des médias est à modérer. Une seule étude permet d’émettre une hypothèse mais ne prouve rien. Différentes équipes indépendantes de chercheurs sont nécessaires pour déterminer une relation de cause à effet. De plus, l’analyse selon Modic des IRM reste expérimentale : d’autres critères objectifs et subjectifs pourraient être plus appropriés pour une prochaine étude.
Pour une somme « Modic »
Enfin, Hanne Albert et son équipe ont mis en place une stratégie commerciale hors du commun. À la fin de l’article, ils mentionnent l’effet positif du protocole MAST (antibiothérapie vertébrale de Modic), mais ne soutiennent pas « la proposition que tous les patients souffrant d’une lombalgie chronique devraient prendre des antibiotiques ».
L’article a été publié en ligne le 13 février 2013, sans qu’il soit remarqué. Mais le 7 mai, le docteur Hamlyn et associé d’Hanne Albert, organisait une grande conférence de presse, avec petits fours et champagne à volonté, pour annoncer le lancement de son site internet : mastmedical.com. Tout patient lombalgique peut y télécharger son IRM et obtenir une interprétation par des radiologues spécialisés des changements de Modic pour la « modique » somme de £75 (environ 90 €). Cet acte est non remboursé par la Sécurité Sociale et l’académie Modic, créée en Angleterre, vous demandera un virement vers un compte danois. L’académie n’est pas difficile et toutes les cartes bancaires internationales sont acceptées.
Ces articles sont cependant intéressants : ils évaluent avec objectivité la présence ou non de modifications de Modic, mettent en place une étude sérieuse avec une méthodologie correcte, mais profitent ensuite de la crédibilité et de la détresse des patients souffrant de douleurs chroniques pour se lancer dans une démarche commerciale tout à fait discutable. L’information libre et éclairée, elle, n’a pas de prix !
[su_spoiler title= »Ce qu’en dit la presse » icon= »plus-circle »]• The Independent (7 mai 2013)
« De l’étoffe de prix Nobel » : un demi-million de lombalgiques « pourraient être guéris avec des antibiotiques » Selon l’article, le docteur Hamlyn, présenté comme un chirurgien orthopédique spécialisé dans la colonne vertébrale, a organisé et financé le communiqué de presse du 7 mai.
Source : http://www.independent.co.uk/life-style/health-and-families/health-news/the-stuff-of-nobel-prizes-half-a-million-sufferers-of-back-pain-could-be-cured-with-antibiotics-8606340.html
• Metro.co.uk (7 mai 2013)
Le mal de dos « pourrait être guéri avec une dose d’antibiotiques d’une valeur de £114 ». Le traitement pourrait soulager un sous-groupe de patients souffrants de lombalgie basse chronique, selon Dr. Hanne Albert.
Source : http://metro.co.uk/2013/05/07/back-pain-can-becured-with-a-114-dose-of-antibiotics-3715780/
• Le monde (8 mai 2013)
« Les antibiotiques permettraient de soigner le mal de dos chronique (…) dans 40% des cas, le mal de dos serait provoqué par une bactérie, et qu’un traitement antibiotique permettrait donc de soulager la douleur. (..) 80 % des 162 participants à l’étude – qui souffraient de douleurs depuis plus de six moins après une hernie discale et la formation d’un œdème autour de la colonne vertébrale – ont affirmé moins souffrir après la prise d’antibiotiques trois fois par jour pendant cent jours »
D’où sortent ces chiffres ? Aucun texte ne parle de ces 40 %. Mais une confusion peut-être : 35 à 40 % des lombalgiques auraient des modifications Modic vues à l’IRM, qui seraient associées à une bactérie selon Albert et al. Mais cela n’est absolument pas prouvé.
Qu’en est-il des 80 % qui vont mieux ? Les chiffres sont globaux et le texte ne permet pas de conclure sur le chiffre de ceux qui vont mieux.
Par ailleurs, les chercheurs ont utilisé de nombreux critères de jugement très précis qui n’ont pas été repris par les journalistes (questionnaire de qualité de vie, nombres de jours de douleurs, etc.).
Source : www.lemonde.fr/sante/article/2013/05/08/les-antibiotiques-permettraient-de-soigner-le-mal-de-doschronique_3173621_1651302.html
• Le Parisien (22 mai 2013)
Mal de dos : et si c’était la faute d’une bactérie ?
« [l’étude] montre en effet qu’une partie des 61 patients suivis pour l’étude, qui ont reçu pendant cent jours un antibiotique associant de l’amoxicilline à l’acide clavulanique (…) a eu nettement moins mal au dos ».
Les journalistes du parisien et le rhumatologue interrogés ont donc bien confondu les deux études… Cette information a été reprise par d’autres, sans vérification des sources.
Source : www.leparisien.fr/espace-premium/actu/mal-de-dos-etsi-c-etait-la-faute-d-une-bacterie-22-05-2013-2823457.php[/su_spoiler]
* Retrouvez les analyses et commentaires de Marjolaine Dey sur marjolainedey.com