Si les fascias sont richement innervés, quelle est leur part dans le ressenti de la douleur, notamment dans les lombalgies chroniques. Est-elle plus ou moins élevée que dans le muscle et comment irradie-t-elle ? Varie-t-elle d’un fascia à l’autre ?
Synthèse de l’intervention d’Andreas Schilder lors du 4e Fascia Research Congress à Washington, réalisée par Cyril Dupuis, kinésithérapeute, enseignant en thérapie manuelle des fascias, titulaire d’un master (2), membre fondateur de la Fascia Research Society et assistant chercheur au CERAP
Article tiré de l’enquête « Recherche fondamentale et applications cliniques : Que les fascias soient avec vous » parue dans le numéro 27 (décembre-janvier-février 2016)
Des publications de plus en plus nombreuses mettent en évidence l’implication du fascia thoracolombaire dans les lombalgies non spécifiques. L’existence de fibres nociceptives dans le fascia suggère que celui-ci participe au développement et/ou au maintien de la douleur. D’autre part, il a également été observé une diminution des glissements des différents plans du fascia thoracolombaire dans les lombalgies chroniques. Pour mieux comprendre la relation entre les fascias et la douleur, Andreas Schilder a créé des douleurs expérimentales chez des sujets adultes de deux manières différentes : par injection de solution saline hypertonique et par stimulation électrique à haute fréquence avec électrodes internes.
Une douleur plus intense dans le fascia
L’expérimentation a consisté à injecter chez des adultes sains et sous contrôle échographique une solution hypertonique au niveau lombaire (L3-L4) dans le fascia thoracolombaire, dans les muscles paravertébraux et en sous-cutané. Une injection de solution isotonique a été réalisée à titre de contrôle dans les structures controlatérales afin de différencier la douleur chimiquement induite de la douleur par distension (due au volume injecté) des structures. Un second test a été réalisé avec les mêmes structures (fascia, muscle et peau) au niveau de la loge antéro-externe de la jambe. La douleur a été évaluée en intensité (algomètre de pression), en étendue (localisation sur un modèle standard) et en qualité (Pain Perception Scale). L’analyse des résultats montre que la douleur est plus intense et irradie plus dans le fascia que dans la peau ou le muscle. C’est également le seul tissu pour lequel la part affective de la douleur est significativement augmentée. Ce dernier résultat est important, car les douleurs expérimentales sont connues pour avoir un très faible impact affectif. Il a également été mis en évidence que la sensibilité du fascia thoracolombaire et du fascia tibial antérieur n’était pas la même, suggérant une sensibilité variable des différents fascias du corps humain.
Stimulation électrique : le muscle plus sensible que le fascia
Dans un deuxième temps, des électrodes ont été introduites dans le muscle et le fascia (toujours sous contrôle échographique) afin de mesurer la sensibilité à la douleur provoquée par des stimulations électriques à haute fréquence (100 Hz, 5 × 1 s). L’intensité de la douleur a été mesurée grâce à une échelle visuelle analogique (EVA). Les résultats montrent qu’avec ce protocole expérimental, lors de la stimulation, le muscle est plus sensible que le fascia et la douleur irradie plus. Cependant, dans les minutes qui suivent la stimulation électrique, il y a une augmentation de la sensibilité douloureuse à la pression pour le fascia, et pas pour le muscle. De manière surprenante, il a également été constaté que lors de la stimulation du muscle, la sensibilité du fascia adjacent diminue. La douleur du fascia n’est pas due à sa distension, ce qui pourrait impliquer que ce ne sont pas les tensions excessives sur le fascia thoracolombaire qui créent ou maintiennent la lombalgie. Quand on stimule chimiquement le fascia, sa sensibilité est plus grande et plus étendue que celle de la peau et du muscle. Quand on le stimule électriquement, il devient plus sensible à la pression, et à l’inverse, quand on stimule le muscle, la sensibilité du fascia diminue, ce qui pourrait être une voie d’intervention sur les douleurs du fascia.
[su_quote]Le fascia thoracolombaire est impliqué dans les lombalgies non spécifiques[/su_quote]
Une structure clef pour traiter les douleurs chroniques
Ces nouvelles données montrent l’importance de la prise en compte des fascias dans le diagnostic et le traitement des douleurs de l’appareil locomoteur et notamment des lombalgies. Il devient difficile de baser les interventions manuelles sur une réharmonisation ostéo-articulaire locale, sans prendre en compte les tissus mous environnants. D’autre part, le fait que le fascia soit le seul tissu à avoir une composante affective intrinsèque met également en avant l’intérêt d’intégrer le système nerveux central et le vécu de la douleur dans l’évaluation et le traitement de la lombalgie, en particulier quand elle est chronique. Le fascia est ainsi une structure clef dans le développement et/ ou la persistance des douleurs aiguës, subaiguës et chroniques de la région lombaire. Il est un tissu incontournable.
[su_box title= »A propos d’Andreas Schilder » style= »bubbles » box_color= »#ef5602″ title_color= »#1866a5″ radius= »8″]Andreas Schilder est chercheur à la faculté de médecine Mannheim de l’Université de Heidelberg en Allemagne. Son domaine de recherche porte sur la participation des tissus conjonctifs à la lombalgie chez l’humain, avec un intérêt particulier pour le fascia thoracolombaire. Il utilise des stimulations chimiques et électriques pour induire des modifications de durée plus ou moins longue de la sensibilité douloureuse. Le but de ses recherches est de comparer les types de sensibilité douloureuse en fonction des différents tissus. Il a obtenu un master en science, mention “physiologie animale” à l’université de Kaiserlauten en 2011. Il est enseignant-chercheur et termine une thèse doctorale sur la douleur musculo-squelettique. [/su_box]
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