Le foie joue un rôle capital de filtre dans le corps humain. Mais que se passe‐t‐il lorsqu’il dysfonctionne? Des chercheurs des universités de Genève (UNIGE) et Lausanne (UNIL), du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), du Centre d’imagerie biomédicale (CIBM) à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) se sont associés afin d’analyser en détail l’encéphalopathie hépatique, une détérioration cérébrale provoquée par une maladie chronique du foie.
Pour la première fois, ils ont pu observer dans un modèle murin qu’un dysfonctionnement du foie provoque en deux semaines des perturbations moléculaires cérébrales, alors même qu’aucun symptôme physique n’est apparent. De plus, plusieurs molécules sont concernées, dont deux méconnues par le passé. Leurs résultats, à lire dans la revue Journal of Hepatology, permettraient de détecter une atteinte cérébrale liée aux maladies du foie par une analyse cérébrale, avant que l’état de santé de l’individu ne se détériore.
Lorsque le foie est malade, comme en cas de cirrhose, de nombreuses substances ne sont plus filtrées et peuvent provoquer des atteintes psychologiques, motrices et neurocognitives chez l’adulte. Cette maladie, nommée encéphalopathie hépatique, peut se manifester par un large spectre de symptômes allant jusqu’au coma. Il est connu que l’un des acteurs de l’encéphalopathie hépatique est l’ammonium. « L’ammonium est une substance produite par la dégradation des protéines, dont une partie est dirigée vers le cerveau pour être transformée en glutamine – utilisée pour la fabrication de neurotransmetteurs – et l’autre partie est filtrée par le foie et excrétée par les urines, explique Valérie McLin, professeure au Département de pédiatrie, gynécologie et obstétrique de la Faculté de médecine de l’UNIGE et des HUG. Mais si le foie dysfonctionne, cela provoque un excès d’arrivée d’ammonium au cerveau, et donc de production de glutamine, qui peuvent déclencher un oedème cérébral et dans certains cas l’encéphalopathie hépatique ». Il reste toutefois deux inconnues : y a‐t‐il d’autres acteurs moléculaires responsables de l’encéphalopathie hépatique? Et au bout de combien de temps le cerveau est‐il atteint par le dérèglement du foie ?
Un impact bien plus précoce qu’attendu
Pour répondre à ces questions, les chercheurs ont observé des rats atteints d’une maladie chronique du foie durant huit semaines. « Nous avons suivi chaque animal individuellement en le plaçant chaque deux semaines dans une IRM à haut champ magnétique (9,4 Tesla) pour effectuer de la spectroscopie à haute résolution (SRM), nous permettant d’observer de manière très précise les altérations moléculaires du cerveau dès le début de la maladie du foie, explique Dre. Cristina Cudalbu, chercheuse scientifique et responsable opérationnel du 9.4T MRI au Centre d’Imagerie Biomédicale à l’EPFL. Et nous avons effectué des observations inédites ! » En effet, les scientifiques ont constaté que dès la deuxième semaine de la maladie du foie, des changements moléculaires affectent le cerveau. Et pourtant, les rats ne présentent encore aucun symptôme de maladie. «Sur la base d’études antérieures, nous pensions qu’il fallait attendre environ six semaines pour voir un impact, soit le début de la dégradation de l’état de santé de l’animal», s’étonne Cristina Cudalbu. Les signes extérieurs de la maladie apparaissent entre la quatrième et la huitième semaine: jaunisse, malnutrition ou encore de l’eau dans le ventre. «Dès ce moment, nous avons observé dans le cerveau qu’en plus d’un excès d’ammonium, le taux de deux autres molécules baisse soudainement : la vitamine C, un antioxydant, et la créatine, qui remplit de multiples fonctions notamment énergétiques», relève Olivier Braissant, professeur au Service de chimie clinique du CHUV et à la Faculté de biologie et médecine de l’UNIL. C’est la première fois que l’on démontre visiblement l’intervention de ces deux nouveaux acteurs dans la maladie. «Ceux‐ci apparaissent dans un second temps, après la montée d’ammonium dans le sang», précise Olivier Braissant.
Analyser le cerveau pour détecter les maladies du foie ?
Ces résultats suggèrent qu’une analyse du cerveau par SRM permettrait de détecter les manifestations neurologiques d’une maladie chronique du foie bien avant l’apparition des premiers symptômes. Mais ils se demandent aussi s’il serait possible de protéger le cerveau d’une telle détérioration, ou du moins d’en diminuer les atteintes, en compensant le manque de créatine et de vitamine C par des supplémentations ou par l’utilisation de probiotiques. « Nous sommes également en train d’effectuer des observations semblables chez l’humain, afin de voir si l’atteinte cérébrale est similaire à celle des rats», conclut Valérie McLin.
[su_box title= »L’essentiel à retenir » style= »noise » box_color= »#ef5602″ title_color= »#00070d » radius= »8″]1. Un dysfonctionnement du foie provoque en deux semaines des perturbations moléculaires cérébrales, alors même qu’aucun symptôme physique n’est apparent.
2. Cette maladie, nommée encéphalopathie hépatique, peut se manifester par un large spectre de symptômes allant jusqu’au coma.
3. Y a‐t‐il d’autres acteurs moléculaires responsables de l’encéphalopathie hépatique? Et au bout de combien de temps le cerveau est‐il atteint par le dérèglement du foie?
4. Ces résultats suggèrent qu’une analyse du cerveau par SRM permettrait de détecter les manifestations neurologiques d’une maladie chronique du foie bien avant l’apparition des premiers symptômes.
5. Serait-il possible de protéger le cerveau d’une telle détérioration, ou du moins d’en diminuer les atteintes, en compensant le manque de créatine et de vitamine C par des supplémentations ou par l’utilisation de probiotiques ?
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Sources
Université de Genève (19/08/2019), https://www.unige.ch/
Bibliographie
Olivier Braissant, Veronika Rackayová, Katarzyna Pierzchala, Jocelyn Grosse, Valérie McLin, Cristina Cudalbu, Longitudinal neurometabolic changes in the hippocampus of a rat model of chronic hepatic encephalopathy, Journal of Hepatology https://doi.org/10.1016/j.jhep.2019.05.022
L’Ostéopathe magazine en a déjà parlé
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