Très peu pratiquée, l’ostéopathie aquatique présente de nombreux intérêts. En accord avec les principes fondamentaux de l’ostéopathie, elle peut aider l’ostéopathe dans son diagnostic et élargir son champ d’action. Dans certaines indications, elle peut être très efficace. Cette approche nécessite un apprentissage particulier et la maîtrise de techniques spécifiques. Malgré l’investissement matériel qu’elle nécessite, l’ostéopathie aquatique devrait se développer. Quelques questions à Ségolène Vilpert, ostéopathe DO et DOE, qui travaille sur cette pratique depuis plusieurs années.
Article paru dans le #1 Ostéopathie à l’hôpital à mi-chemin de la renaissance (Mars-Avril 2010)
[su_pullquote align= »right »]« Dans l’eau, les principes de base de l’ostéopathie sont favorisés « [/su_pullquote]L’ostéopathie aquatique est née à Perpignan dans les années 1980 avec Bernard Darraillans qui a adapté son expérience de la kinésithérapie en piscine à l’ostéopathie. Bernard Darraillans n’a formé que très peu de personnes. Deux ostéopathes canadiens, Michel Dufresne et Marie Panier, ont suivi son enseignement et ont réalisé la première étude sur le sujet pour prouver l’efficacité de cette pratique. Formée au Canada par Michel Dufresne pendant sa troisième année au sein de l’ÉSO (école supérieure d’ostéopathie), Ségolène Vilpert a obtenu son diplôme d’ostéopathe en 2006. Son mémoire de fin d’études, « Apport de l’ostéopathie aquatique à la rééducation de patients opérés d’une rupture du sus-épineux », a été réalisé à partir de données recueillies à l’hôpital national de Saint-Maurice (94), l’institut Robert Merle d’Aubigné à Valenton (94) et le centre de rééducation motrice et fonctionnelle du Finosello à Ajaccio (Corse). Depuis trois ans, elle pratique l’ostéopathie aquatique dans son cabinet d’Aix-les-Bains (73). Elle nous présente les intérêts de cette pratique, ses protocoles et ses indications.
COMMENT SE DÉROULE UNE SÉANCE D’OSTÉOPATHIE AQUATIQUE ?
Lorsque je reçois un patient pour la première fois, la séance se déroule toujours sur table. D’abord, pour tester les entrées posturales (la vue, les pieds). Ensuite, pour évaluer le profil psychologique du patient. Si une deuxième séance est nécessaire, un rendez-vous est fixé quinze jours plus tard. Cette séance peut alors se dérouler en piscine. Une fois dans l’eau, j’explique au patient ma démarche. C’est important puisque ce n’est pas une situation habituelle pour lui. Il a besoin d’être rassuré car, une fois allongé dans la piscine, il aura les oreilles sous l’eau et n’entendra plus rien. Un flotteur sous la tête et un sous chaque cheville, le patient est allongé sur l’eau. Je débute alors une phase d’observation en deux temps. Une observation immédiate comme sur table, à la différence que la surface de l’eau sert de niveau : une épaule ou un genou sous l’eau et pas l’autre, etc. Il est intéressant de communiquer ces observations au patient qui prend alors totalement conscience, de manière sensitive, de la position de son corps. La seconde phase d’observation débute lorsque l’eau chaude agit sur le tonus musculaire pour le faire diminuer. Presque toutes les adaptations du patient vont alors progressivement disparaître. Par exemple, pour un patient présentant une scapulalgie droite à cause d’une dysfonction cinétique hépatique, l’épaule droite est un peu plus basse, plus antérieure. Hors de l’eau, il montrera une tension plus importante de tous les muscles à gauche pour essayer de garder son regard horizontal. En milieu aquatique, ces adaptations disparaissent et le patient va « s’enrouler autour de son foie ». Sa main droite au niveau du genou, il sera replié sur son foie. Cette seconde phase d’observation, permet ainsi de préciser le diagnostic en infirmant ou confirmant le diagnostic posé lors de la première séance sur table. Une séance en piscine, malgré le temps de préparation du patient, ne dure pas plus longtemps qu’une séance d’ostéopathie classique, soit une heure environ. En effet, observations et tests sont beaucoup plus évidents et les corrections se font plus rapidement.
[su_box title= »L’installation technique » style= »bubbles » box_color= »#ef5602″ title_color= »#1866a5″ radius= »8″]Pour Ségolène Vilpert, les dimensions du bassin ne sont pas spécifiques et la profondeur peut varier selon la taille du praticien : « Il est nécessaire de respecter un certain niveau d’eau pour que l’ostéopathe soit dans la bonne position pour travailler », explique-t-elle. Élément important : le courant de surface généré par la filtration de l’eau doit être réduit à son strict minimum. La température de l’eau doit être de 35°C. « Pour ces raisons techniques, les piscines des centres de rééducation et de balnéothérapie ne sont pas vraiment adaptées à la pratique de l’ostéopathie aquatique. À 33°C, la température de l’eau y est trop basse, la profondeur trop importante et le courant de surface trop fort. De plus, en ostéopathie, il ne faut qu’une seule personne par bassin afin que le patient ne se sente pas observé », détaille Ségolène Vilpert. En termes sanitaires, la DASS préconise des normes qui ne sont pas obligatoires aujourd’hui mais qui pourraient le devenir : circuit du patient vestiaire-sanitaires-douche, pédiluve en circuit ouvert chloré, etc. La construction d’une piscine nécessite donc un cahier des charges très précis pour respecter toutes ces conditions. « Un investissement très important mais très variable selon la configuration des locaux, en construction ou en réhabilitation. Pour ma part, je facture 15 euros supplémentaires pour une séance en piscine. Mais ce n’est évidemment pas cette somme qui me permet de rentabiliser l’investissement. Ce qui explique aussi le très faible développement de l’ostéopathie aquatique », conclut la praticienne. [/su_box]
QUELLES SONT LES INDICATIONS SPÉCIFIQUES DE L’OSTÉOPATHIE DANS L’EAU ?
Dans le cadre de mon mémoire de fin d’étude à l’ÉSO réalisé en partie au centre de rééducation de Valenton (94), j’ai mené une étude comparative sur la rééducation de patients opérés pour des ruptures du sus épineux. Tous les patients suivaient un parcours de rééducation classique auquel nous rajoutions soit des séances sur table, soit des séances d’ostéopathie aquatique. De manière très significative, les résultats ont révélé une meilleure récupération des amplitudes avec l’ostéopathie aquatique. L’ostéopathie dans l’eau apporte donc, d’après mon expérience, de meilleurs résultats pour les douleurs postopératoires. Dans le cadre des douleurs chroniques, elle peut aussi offrir une réponse plus complète, notamment avec une action psychologique. Après un traitement ostéopathique sur table, le patient peut ressortir avec une petite douleur due à une inflammation. Malgré l’indication rassurante qu’elle s’estompera en quelques jours, le patient reste sur un échec supplémentaire dans sa recherche de guérison. Et même si le traitement est efficace, il demeurera focalisé sur sa douleur. Grâce aux effets myorelaxants de l’eau chaude, le patient pourra ressentir un état de non-douleur : le cercle de la douleur est rompu et le patient prend conscience qu’elle peut disparaître. Si le traitement est efficace, ce patient ne souffrira plus. C’est de l’ordre psychologique mais c’est une réalité. Au centre de rééducation de Valenton, j’ai également constaté que l’ostéopathie aquatique avait, dans certains cas, de bons résultats dans le traitement des syndromes du membre fantôme. Dans cette indication, il ne s’agit pas d’une dimension psychologique mais plus d’une prise de conscience, par le patient, de son schéma corporel.
L’OSTÉOPATHIE AQUATIQUE FAVORISE-T-ELLE LA COLLABORATION AVEC D’AUTRES PROFESSIONNELS DE SANTE ?
Sa pratique permet de visualiser l’action de l’ostéopathe sur le corps du patient. L’observation du travail sur les fascias est facilitée, ce qui simplifie le dialogue avec d’autres professionnels de santé. Ainsi, montrer des vidéos de mes séances d’ostéopathie dans l’eau m’a permis de collaborer avec d’autres professionnels de santé de ma région. Au niveau crânien par exemple, chaque dysfonction entraînera, lors du test, un positionnement différent du patient. La dysfonction devient visible. L’ostéopathie aquatique pourrait ainsi contribuer à légitimer l’action de certaines techniques ostéopathiques.
QU ’APPORTE L’APPRENTISSAGE DE L’OSTÉOPATHIE AQUATIQUE ?
Il permet de développer une nouvelle manière d’observer, de réaliser de nouveaux tests, de découvrir de nouvelles techniques et d’apprendre à se positionner dans l’eau. Les séminaires que j’organise permettent d’aborder toutes les techniques très rapidement. Mais ce ne sont que des initiations et il faut de la pratique pour que la main acquière une dextérité particulière. Le ressenti et l’approche méthodologique ne sont pas les mêmes que sur table. Il faut apprendre à se servir de l’eau pour les techniques d’ondulation. Depuis que je suis installée, j’ai formé une quarantaine d’ostéopathes.
[su_box title= »Les contre-indications à l’ostéopathie aquatique » style= »bubbles » box_color= »#ef5602″ title_color= »#1866a5″ radius= »8″]Les contre-indications à la balnéothérapie restent bien sûr valables pour l’ostéopathie aquatique : plaies ouvertes, infections pulmonaires, tensions artérielles instables ou trop basses. « Les troubles émotionnels importants le sont également dans un premier temps. Un patient en dépression profonde ou schizophrène verra ses réactions émotionnelles décuplées dans l’eau. Sur table, les réactions émotionnelles existent aussi : un patient peut se mettre à pleurer, se sentir oppressé, angoissé. Dans l’eau, ces remontées émotionnelles sont très fortes. Si des précautions ne sont pas prises, il est possible d’assister à des crises proches de l’hystérie : le patient enlève ses flotteurs et se remet debout dans la piscine, sans en être conscient. De même, l’eau nous rapproche du patient et favorise les transferts émotionnels. C’est un point important à prendre en compte. Mais après un travail sur table de rééquilibrage ou avec un suivi en psychothérapie, ces patients pourront devenir une indication à l’ostéopathie aquatique qui donne alors de très bons résultats », précise Ségolène Vilpert. Au niveau ostéopathique, certaines dysfonctions qui ne respectent pas les axes physiologiques ne pourront pas être traitées dans l’eau, au risque d’aggraver la situation. Par exemple, un up slip ou une translation de tibia sous fémur. Dans ces cas-là, des points d’appui sont nécessaires à la correction. Certaines techniques comme les thrusts (à haute vélocité et à basse amplitude) ne sont pas indiquées dans l’eau puisque l’objectif du thrust est d’aller plus vite que la barrière musculaire, de court-circuiter le réflexe musculaire. Or dans l’eau chaude, cette barrière musculaire disparaît. Un thrust serait à la fois inutile et dangereux. Ces dysfonctions doivent absolument être traitées sur table avant d’amener le patient dans l’eau. Enfin, lorsque l’ostéopathe fait le choix des techniques crâniennes, traiter le patient dans l’eau ne présente pas de réel intérêt. [/su_box]
COMMENT ENVISAGEZ-VOUS L’AVENIR DE CETTE PRATIQUE ?
Elle va progresser pour de nombreuses raisons. D’abord parce que cette approche élargit le champ d’action de l’ostéopathie. Les jeunes ostéopathes, qui risquent d’être trop nombreux sur le marché, devront se différencier et l’ostéopathie aquatique peut en être le moyen. Pour les étudiants, l’ostéopathie aquatique peut aussi présenter un fort intérêt lors de la découverte et l’apprentissage des techniques crâniennes, faciales et viscérales. À défaut de percevoir manuellement les effets de ces techniques dans un premier temps, ils ont la possibilité de les visualiser. De plus, l’ostéopathie aquatique permettra certainement une meilleure communication avec les autres professionnels de santé. Je réaliserai une première intervention sur le sujet lors des samedis scientifiques de l’ÉSO, cycle de conférences lancé en janvier 2010 (voir page 6). Par ailleurs la mise en place d’une formation au sein de cet établissement est également prévue.
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