L’homme s’adapte à son environnement par modification de son matériel génétique. À très long terme, ce processus évolutif est bien connu. À court terme, cette adaptation se fait à travers un processus découvert récemment : l’épigénétique. Pourquoi intégrer le concept d’épigénétique en ostéopathie ? Quelles sont les conséquences dans la prise en charge ostéopathique ? Le point de vue de Michael Nord.
Par Michael Nord, chirurgien pédiatre orthopédiste et ostéopathe DO
L’ostéopathie, c’est d’abord une approche fonctionnelle des pathologies : chaque structure a une fonction, chaque fonction entretient une certaine structure, et la structure gouverne la fonction. Les traitements ostéopathiques s’appuient sur les concepts d’unité et d’interrelations entre structure et fonction et ils s’expriment à travers le système neuro-végétatif. Ils sont basés sur le principe d’autoguérison et font passer le patient du mode passif au mode actif (du « Je veux être guéri » au « Je veux guérir »), privilégient le rôle de l’artère et l’importance de la « mémoire du corps ». La génétique s’intéresse à l’ensemble des constituants génétiques d’un individu contenu dans son ADN et qui représente son génotype. Ce génotype s’exprime de manière variable selon l’environnement pour déterminer le phénotype d’un individu c’est-à-dire l’ensemble de ses particularités physiques, biochimiques et physiologiques. Cependant, pour fabriquer la copie conforme d’un être humain, seul 8 % de son matériel génétique sont nécessaires. D’où la question : quelle est l’utilité des 92 % restants ? La réponse de Michael Nord : « ils correspondraient à la mémoire de l’espèce humaine, de la lignée familiale, de son histoire proche, etc. Et à chaque génération, ce matériel génétique propre est modifié, ajouté à notre matériel génétique « reproductif» (les 8 %) pour être transmis à nos descendants ».
L’épigénétique se superpose à la génétique
L’épigénétique est un processus qui se superpose à la génétique et qui permet de moduler l’expression d’un mauvais gêne ou d’un héritage inadapté afin de l’inhiber. « Pour faire simple : génétique au singulier donne phénotypes au pluriel et c’est l’environnement qui fait tourner la boutique », précise Michael Nord. L’épigénétique permet de nous ajuster à un environnement changeant et souvent dysfonctionnel. « Une notion qui oblige les scientifiques à enfin penser autrement, comme l’ostéopathie par rapport à la médecine » conclut ce dernier. Dans sa définition la plus récente, l’épigénétique est comprise comme l’ensemble des modifications transmissibles d’une génération à l’autre et réversibles de l’expression des gènes sans altérations des séquences nucléotidiques. L’épigénétique, c’est-à-dire la régulation de l’expression de certains gènes ou la répression de gênes défavorables, est possible par la méthylation (rajout d’un groupe CH3) des bases C et G de l’ADN des gènes concernés. Une faible méthylation entraîne la forte expression d’un gène, une forte méthylation le rendra inactif. Ces méthylations peuvent être héritées, créées, modifiées puis transmises. Elles sont entre autres contrôlées par la concentration en homocystéine : si son taux est bas, les capacités de méthylation seront bonnes. Inversement si son taux est élevé.
Applications thérapeutiques
Les applications qui découlent de la meilleure compréhension de ce processus sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, les thérapies génétiques. Des recherches actuellement en cours ont révélé que des nucléosides analogues inhibent la méthylation de l’ADN et réactivent des gènes devenus silencieux. Viennent ensuite les thérapies dont l’action se situe au niveau du processus de méthylation. Il s’agit de traitements préventifs : xénobiotiques (toxiques alimentaires pouvant être utilisés pour fixer les groupes méthyles) pour réduire l’hyperméthylation, modification de la concentration des cofacteurs de transport des groupes méthyles (B12, acide folique, choline, bétaïne, etc.), traitements contre le stress oxydatif (vitamine C, coenzyme Q10, etc.), réduction du taux d’homocystéine, modulation de la disponibilité des groupes méthyles par action sur les accepteurs.
Quelles conséquences à court terme ?
L’ADN va donc garder sa place privilégiée, mais son rôle ne sera plus exclusif. Dès lors, nous ne sommes pas seulement le pur produit de nos gènes, et l’hérédité épigénétique peutdans l’évolution à court terme. Les effets épigénétiques possibles sont alors nombreux. En voici quelques exemples :
– Un chercheur suédois a suivi à distance les petits-enfants de personnes restées en Suède durant les grandes famines de 1920 et 1930. Ces enfants portaient en eux des pathologies (troubles de la constitution des globules rouges, problèmes au niveau du foie, arthrosique par lésion du cartilage, etc.), comme s’ils avaient vécu la famine de leurs grands-parents. (Marcus E Pembrey, Time to take epigenetic inheritance seriously, European Journal of Human Genetics (2002) 10, 669-671)
– Des femmes américaines enceintes et présentes lors des attentats du 11 septembre 2001 ont toutes ou presque donné naissance à des enfants dont le taux de cortisol est plus élevé (le cortisol est l’hormone de stress et de réponse au stress par excellence). Ce dernier entraîne, à plus ou moins long terme, des pathologies lourdes du pancréas et des articulations, des insuffisances surrénaliennes, etc. (Rachel Yehuda et al., 2005). Transgenerational Effects of Posttraumatic Stress Disorder in Babies of Mothers Exposed to the World Trade Center Attacks during Pregnancy. Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism, July 1, 2005 vol. 90 no 7, pages 4115-4118).
Par ailleurs, une étude hollandaise a mis en évidence que les attentats du 11 septembre, à travers les médias, avaient eu un effet négatif sur le poids à la naissance d’enfants de femmes hollandaises enceintes à cette époque (Luc Smits et al., Lower birth weight of Dutch neonates who were in utero at the time of the 9/11 attacks, Journal of Psychosomatic Research, Volume 61, Issue 5, November 2006, Pages 715–717)
– Concernant le cancer, les méthylations sont un phénomène de régulation, donc adaptable et modifiable alors que les mutations constituent un phénomène de modification plus ou moins définitif. Un oncogène « muté » pourra donc être plus pathogène, et surtout transmissible, qu’une méthylation qui ne pourrait que toucher l’individu et non sa descendance. L’influence de l’épigénétique ne peut donc pas se caractériser par la réduction de l’apparition de cancers par mutation, mais plutôt par une protection améliorée de l’individu par rapport au risque de mutation, et surtout de mutation transmissible.
Comment relier épigénétique et ostéopathie ?
La génétique peut être comparée à l’écriture d’un livre, l’épigénétique en est la lecture. Une fois rédigé, le texte de ce livre sera identique sur tous les exemplaires. Cependant, chaque thérapeute sera un lecteur qui aura sa propre interprétation selon son histoire personnelle, sa formation, etc., mais aussi selon les conditions dans lesquelles se déroule la consultation : est-il disponible ou pas pour son patient ? qu’a-t-il appris des actes précédents ? etc. C’est pourquoi, comme l’épigénétique a pu apporter la preuve de son influence environnementale sur notre matériel génétique, il est essentiel de comprendre le rôle adaptatif de l’ostéopathe. Ce dernier peut sortir du carcan restrictif de l’univers médical pour prendre en compte de nombreux autres paramètres dans sa prise en charge : le stress oxydatif, l’apport de phospholipides, etc. « Il faut mettre le patient en condition de bonne santé, de bonne posture, de bonne fonction pour lui permettre de gérer son stress adaptatif, donc son environnement, et ce afin de lui offrir un bien-être qui le rendra capable de mettre en place un processus de répression des gênes défavorables. Cela passe par l’acte ostéopathique lui-même, mais aussi par des conseils nutritionnels et par notre attitude face à lui ».
Intégrer l’approche de la médecine prédictive
L’ostéopathe incorporera dans sa lecture du corps du patient l’approche prédictive : devant telle ou telle pathologie, le discours préventif face aux complications potentielles de même que l’évocation des techniques auto-rééducatives et nutritionnelles constitueront une prise en charge large au sens épigénétique. L’écoute tissulaire sera ainsi associée à l’écoute du discours du patient. La réponse de l’ostéopathe se positionnera également au-delà du geste manuel avec un propos sur le devenir du geste (efficacité à moyen terme) et l’avenir du patient (qualité de vie à moyen terme). Il est donc nécessaire d’introduire le concept d’épigénétique dans le système ostéopathique, afin de contourner certains écueils ou échecs thérapeutiques et mieux comprendre les chemins détournés empruntés par les pathologies au cours du temps. « L’environnement est un lecteur assidu de nos gênes et nous sommes autant les fils de nos parents que les enfants de notre terre » commentait Bruce Lipton, docteur en biologie du développement de l’université de Virginie (États-Unis) et notamment auteur de La biologie des croyances. Cela signifie que l’homme est aux commandes de sa propre évolution.
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